CHORUS

Les Cahiers de la chanson

 

Au moment de concevoir leur second journal musical, en 1991, Fred et Mauricette Hidalgo sont partis des points forts du mensuel Paroles et Musique (notamment son dossier principal), pour aboutir à un panorama aussi complet que possible de la chanson francophone, qui couvre à la fois, dans chaque numéro, son actualité, son devenir et son patrimoine. Pour parler avant tout de ce qui se passe sous les feux de la rampe, mais aussi de ce qui se prépare ou se trame en coulisses. Il en résultera une revue trimestrielle de 196 pages, Chorus, paraissant dans les kiosques le premier jour de chaque nouvelle saison, à partir du 21 septembre 1992.

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Sous-titrée « Les Cahiers de la chanson », Chorus connaît d’emblée le succès auprès des amateurs de chanson d’expression française et plus généralement de l’espace francophone (avec la couverture des musiques « noires » d’Afrique, des Caraïbes et de l’océan Indien), en donnant notamment à découvrir de nombreux talents en herbe qui, d’ailleurs, doivent souvent à Chorus leur premier article de presse nationale. C’est la « Génération Chorus » des années 90 (Aldebert, Alexis HK, Amélie-les-Crayons, Anaïs, Vincent Baguian, Bénabar, Agnès Bihl, Mathieu Boogaerts, Cali, Camille, Jeanne Cherhal, Clarika, Daran, Vincent Delerm, Dominique A, Thomas Fersen, Yves Jamait, Jorane, Loïc Lantoine, Pierre Lapointe, Lchorus50ynda Lemay, Les Ogres de Barback, Lhasa de Sela, Emily Loizeau, M, Florent Marchet, Mickey 3D, Ours, Franck Monnet, Sanseverino, Mano Solo, Têtes Raides, Rokia Traoré, Tryo, Zoé, etc.), que l’audiovisuel grand public appellera ensuite, au début des années 2000, « la nouvelle scène ».

Spécificité de la « Chorus Line », la ligne éditoriale de Chorus : le suivi. En particulier des découvertes (il y en aura des centaines, recensées dans le n° 40 de l’été 2002 à l’occasion d’un dossier spécial où quarante « grands » noms de la chanson francophone  – n° 40 obligeant – livrent leur commentaires sur cette « relève »), la revue s’attachant dès lors à suivre leur évolution artistique et professionnelle. Constatant avec bonheur, dans un cas, la réalisation des promesses entrevues, ou déplorant, dans l’autre, le manque de débouchés médiatiques suffisants pour permettre à ces jeunes pousses de s’épanouir.

Bientôt, Chorus – qui sert de lien entre toutes les parties composantes de la chanson (du public aux artistes en passant par les éditeurs, producteurs, tourneurs, responsables de salles et de festivals…) et d’outil d’information privilégié à l’audiovisuel – s’impose comme l’organe de référence de la chanson francophone. De ce fait, son action au service de la chanson (dans sa Lettre, la Sacem parle à son sujet d’« organe de service public », et ses lecteurs comme certains médias, à l’image de l’AFP dans ses dépêches, de « bible de la chanson ») prend une ampleur inattendue, décuplant son efficacité pratique par rapport à son tirage. Ainsi, il n’est pas rare qu’un des jeunes talents présentés dans le cahier « À suivre », en fin de numéro, bénéficie de dizaines d’engagements après la publication de son « Portrait », les programmateurs de salles et de festivals de l’espace francophone accordant toute leur confiance aux choix et aux paris artistiques de la revue.

La chanson dans tous ses états

Fort de 196 pages (assemblées en cahiers cousus, à l’ancienne, avec un dos carré), chaque numéro décline l’actualité de la chanson francophone, toutes générations et tous genres musicaux confondus, à travers une douzaine collectionde rubriques (disques, livres, scène, interviews, reportages, enquêtes, chroniques, thèmes, Histoire…), et propose à la fois des « Rappels » du patrimoine et un cahier consacré aux nouveaux talents découverts sur le « terrain » grâce à une équipe répartie partout dans les régions de l’Hexagone, du Plat Pays, de l’Helvétie et de la Belle Province.

La revue comporte en outre deux dossiers monographiques de référence consacrés aux artistes en activité : une bonne centaine au total, de Gréco à Juliette, de Jean-Louis Aubert à Brigitte Fontaine, de Charlebois à Chanson Plus Bifluorée, de François Béranger à Trenet, d’Higelin à Bashung, de Nougaro à Françoise Hardy, de Dutronc à Polnareff, de Richard Desjardins à Véronique Sanson, de Goldman à Ferrat, de Bertin à Vasca, de Duteil à Renaud, de Guidoni à Zazie, des Têtes Raides à Tryo, de Souchon à Leprest, de Manset à Murat… voire de Dylan à Springsteen. Plus de vingt pages chacun, parfois beaucoup plus dans le cas des « dossiers spéciaux » dédiés aux grands disparus : Barbara, Brassens, Brel, Ferré, Gainsbourg, Piaf… Chorus52Après l’éditorial, la revue est organisée en de multiples rubriques, regroupées en plusieurs parties : « À l’affiche », « Actualité », « Scènes », « Dossier », « Coulisses », « À suivre », « À la coda »…

Autour de Fred et Mauricette Hidalgo, respectivement rédacteur en chef et secrétaire générale de la rédaction, l’équipe de Chorus comprenait d’une part un comité de rédaction (composé à l’origine de François-Régis Barbry, Pascale Bigot, Jean-Claude Demari, Serge Dillaz, Marc Legras, Daniel Pantchenko, Marc Robine, Jean Théfaine, Michel Trihoreau, Francis Vernhet et Albert Weber) ; d’autre part des collaborateurs réguliers (parmi lesquels Marie-Agnès Boquien, Michel Bridenne, Yannick Delneste, Bertrand Dicale, Damien Glez, Michel Kemper, Valérie Lehoux, Stéphanie Thonnet, Michel Troadec, Jacques Vassal ou encore Jean-Michel Boris et Yves Simon, titulaires l’un et l’autre d’une chronique spécifique) ; outre des correspondants au Québec (François Blain), en Belgique (Thierry Coljon) et en Suisse (Olivier Horner). Tous – qu’ils soient journalistes (officiant par ailleurs dans l’audiovisuel et dans la presse nationale ou régionale) ou bien professionnels – réputés grands spécialistes de la chanson.

Chorus60En 2007, pour les quinze ans de la revue, toute son équipe se met à l’ouvrage dans le but d’établir un palmarès de ses soixante albums francophones préférés sur les milliers (plus de 10 000 sans doute) chroniqués jusque-là dans ses colonnes. Et puis, elle dresse (difficilement) la liste des « quinze (principales) révélations » de Chorus. Difficilement car le parti pris est de n’en retenir qu’une seule par année, pour chacune des quinze années écoulées. Quantité d’appelés, donc, mais uniquement quinze élus (seize en fait, question d’intervalles…) qui se retrouvent finalement à la Une de ce « numéro spécial » (n° 60, été 2007) : MC Solaar, Thomas Fersen, Clarika, Lynda Lemay, Miossec, La Grande Sophie, Bénabar, M, Agnès Bihl, Jeanne Cherhal, Vincent Delerm, Cali, Olivia Ruiz, Raphael, Grand Corps Malade et Abd Al Malik.

Quant aux soixante albums préférés de la Rédaction francophone de Chorus, dont la liste et toutes les pochettes figurent dans une double page illustrant un formidable éclectisme artistique, tant musical que générationnel, ils sont accompagnés de 480 autres albums (!) jugés incontournables, commentés par les journalistes dans une « session de rattrapage ». 540 disques au total à l’affiche de ce dossier, avec tout en haut du podium C’est déjà ça, d’Alain Souchon (automne 1993), l’album comprenant notamment Foule sentimentale

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Cerise sur le gâteau, une lettre manuscrite de Jean-Jacques Goldman est arrivée à Chorus, quelques jours seulement avant le bouclage, pour lui souhaiter un bon anniversaire. Une exclusivité, « et quelle exclu ! » note Fred Hidalgo à la coda de son traditionnel édito : « Une lettre extraordinaire, que JJG nous a adressée (pour publication) en “direct-live” de sa retraite actuelle. À part le fait de dire qu’il me “vole” une page à l’édito, tout commentaire est superflu. Seulement – comme Jacques Brel à l’Olympia, le dernier soir de ses adieux, revenant saluer le public – cette observation : cela justifie quinze ans d’amour. »

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En 1998, Chorus était devenu également un label éditorial, d’abord en coédition avec Anne Carrière, puis avec Fayard à partir de 2003 : une vingtaine d’ouvrages biographiques et thématiques (Aznavour, Balavoine, Barbara, Brel, Ferrat, Gainsbourg, Thiéfaine, Vigneault…) sont ainsi publiés sous la houlette de Fred Hidalgo. En juin 2008, la société éditrice de la revue est reprise par un groupe de presse indépendant, en vue d’assurer sa pérennité après le départ à la retraite de ses fondateurs, en contrepartie d’une autonomie rédactionnelle totale dans l’intervalle. Mais un an après, en juillet 2009, la publication est interrompue sans préavis par le dépôt de bilan de son nouvel éditeur.

Les chanteurs font chorus

Cette disparition prend par surprise tant le monde professionnel et médiatique que ses lecteurs, l’aura de Chorus n’ayant cessé de se « développer » au fil des numéros en même temps que s’amplifiait son rôle de prescripteur en matière de disques et de spectacles ; sa « marque » étant considérée comme une caution de qualité apportée en particulier aux artistes débutants ou méconnus présentés dans ses colonnes. Tant et si bien que, deux mois plus tard, Europe 1 décide de rendre hommage, en compagnie des artistes qui le souhaitent, « à Chorus, à ses fondateurs et à son équipe rédactionnelle », en laissant une carte blanche à Thierry Lecamp, son spécialiste de la chanson et animateur de l’émission « On connaît la musique ».

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Samedi 10 octobre, de 23 h à 1 h, « On connaît la musique… fait Chorus » avec un générique de rêve, de telle manière que, parmi les dizaines d’artistes qui ont tenu à témoigner de l’importance et de la confiance qu’ils accordent à la revue ou qui se sont déplacés pour dialoguer au micro avec Fred et Mauricette Hidalgo, Alain Chamfort dira qu’à sa connaissance jamais il ne s’était produit auparavant un tel rassemblement de chanteurs et de groupes francophones dans une émission de radio ! Ce soir-là, c’est « porte ouverte » à tous les artistes qui souhaitent faire chorus… Ils sont venus, ils sont tous là, s’entassant dans le studio, dans les loges, dans les escaliers, investissant les murs de la station laissée à l’entière disposition de Thierry Lecamp pour cette émission on ne peut plus spéciale.

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En fait, les artistes désireux au moins d’y assister étaient tellement nombreux qu’il fallut enregistrer le mardi précédent, de 20 h 30 à une heure du matin passée ; le dernier à se présenter étant Michel Jonasz, tout juste sorti de son spectacle du soir. Beau clin d’œil du chanteur qui avait fait la Une du premier numéro (dans lequel se trouvait aussi ce qui allait être, sans que personne le sache encore, la dernière interview de Léo Ferré). Les uns témoignèrent en paroles, d’autres en chantant, d’autres encore par téléphone, soit qu’ils étaient sur scène à cette heure-là ou à l’étranger (comme Francis Cabrel depuis l’Asie) voire par radio-satellite (comme Antoine depuis son voilier voguant dans les Îles Australes !). Alexis HK, Antoine, Charles Aznavour, Nicolas Bacchus, Guy Béart, Bénabar, Agnès Bihl, Carla Bruni, Travis Bürki, Francis Cabrel, Cali, Alain Chamfort, Chanson Plus Bifluorée, Marie Cherrier, Clarika, Dominique Cravic et Claire Elzière, Yvan Cujious, Joseph d’Anvers, Romain Didier et Allain Leprest, Dominique Dimey, Dominique A, Benoît Dorémus, Nilda Fernandez, Thomas Fersen, Jean-Jacques Goldman, Juliette Gréco, Jean Guidoni, Michel Jonasz, Bernard Joyet, Kent, Davy Kilembé, Alexandre Kinn, La Rue Kétanou, Gilbert Laffaille, Pierre Lapointe, Les Ogres de Barback, Serge Llado, Florent Marchet, Mell et Eddy (la) Gooyatsh, Ariane Moffatt, Georges Moustaki, Ours, Presque Oui, Mano Solo, Alain Souchon, Thomas Pitiot, Hubert-Félix Thiéfaine, Béa Tristan… D’autres encore.

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Fred et Mauricette Hidalgo penseront un temps à relancer la revue en confiant sa direction rédactionnelle aux plus jeunes de leur équipe, mais rien n’y fera, le fil, le « joli fil » dont parle Souchon (« Le joli fil entre nos cœurs passé / Le fil de nos sentiments enlacés / Le fil qui nous sert à nous resserrer / Oh le fil qui nous tient, nous retient / Le fil tendu entre nous comme un lien… ») ne sera pas renoué. Ou alors d’une façon différente, à travers les blogs de certains de ses collaborateurs (Jean-Claude Demari, Bertrand Dicale, Olivier Horner, Michel Kemper, Daniel Pantchenko, Jean Théfaine, Michel Troadec, Albert Weber…), puis avec celui de Fred Hidalgo, cinq mois après le dernier numéro de Chorus (avec Olivia Ruiz en couverture).

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• À toutes fins utiles, on trouvera ici l’index artistique individuel de Chorus : quelques milliers d’articles (auxquels il faudrait en ajouter presque autant consacrés au métier et à l’histoire de la chanson francophone) ainsi que le sommaire complet du n° 69 mort-né auquel travaillaient ses journalistes lorsqu’ils ont appris qu’il ne paraîtrait jamais sur papier. Raison pour laquelle « La Rédaction de Chorus », par respect envers son lectorat et les artistes rencontrés, avait mis en ligne les sujets déjà écrits dans l’intervalle et notamment un dossier avec Manu Chao, qui aurait fait la Une de ce numéro.

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