PUTAIN DE CHANSON
(1991, 552 pages)
« Que reste-t-il de nos amours ? » s’interroge Charles Trenet ; « avec le temps, va, tout s’en va… » semble lui répondre Léo Ferré. Tout, peut-être… sauf les chansons. Bornes à jamais indestructibles malgré leur apparente fragilité, repères indispensables de nos mémoires, elles sont pareilles à des braises inextinguibles qui sauraient indéfiniment raviver le feu de nos émotions enfouies, de nos émois les plus enfouis. C’est le miracle de la chanson, bien sûr, et sa manifestation la plus spectaculaire, mais pour extraordinaire qu’il soit ce serait une erreur de réduire sa fonction à ce seul pouvoir d’évocation. Car la chanson est multiple, sa portée illimitée, ses facettes sont innombrables, son influence sur les faits ou les comportements et son impact sur les mentalités parfois étonnants, et plus évidents qu’on ne veut bien le dire en général.
C’est ce que (dé)montre Putain de chanson, un livre qui n’est pas vraiment une anthologie, ni un manuel d’histoire de la chanson, encore moins un ouvrage de pamphlétaire et qui, cependant, tient de tout cela à la fois. À travers une sélection d’articles qu’il a écrit tout au long de la décennie précédente pour son propre journal, Paroles et Musique, Fred Hidalgo offre au lecteur une plongée (à différents paliers : esthétique, économique, sociologique, politique) au cœur de la création des années 1980… et plus généralement de l’histoire de la chanson française « moderne » dont le père s’appelle Charles Trenet. Un témoignage essentiel sur le métier de chanteur dans notre société, mais aussi (et surtout ?) une réflexion passionnante menée, à l’usage de tous, par les artistes les plus importants de la chanson francophone contemporaine, sur la vie, l’amour, la mort…
Plusieurs centaines d’artistes francophones, d’Aznavour à Zao, sont ainsi présents au fil des trois principales parties du livre (Les Temps difficiles, Les Gens de mon pays, Les Trompettes de la renommée), à partir d’éditoriaux, de chroniques, de portraits, de critiques de disques ou de spectacles ; une vingtaine d’entre eux dialoguant longuement avec l’auteur lors d’entretiens exclusifs (Graeme Allwright, Guy Béart, Julos Beaucarne, Francis Bebey, Marie-Paule Belle, François Béranger, Jacques Bertin, Jean-Roger Caussimon, Jacques Debronckart, Henri Dès, Leny Escudero, Jean Ferrat, Jean Guidoni, Gilbert Laffaille, Maxime Le Forestier, Gérard Manset, Claude Nougaro, Pierre Perret, Alain Souchon, Anne Sylvestre, Henri Tachan, Jean Vasca, etc.). Puis l’ouvrage s’achève par un « Grand Forum » qui rassemble autour d’une table ronde imaginaire, sur le métier de la chanson, tous les artistes qui comptent, des plus illustres à ceux qui ne sont parfois connus que d’un public de connaisseurs et de fidèles « mais qui se battent pour l’idée d’une chanson vivante et féconde, nourrie de mille influences et forte de racines aussi profondes que diverses ».
À l’affiche de cette « interview de la décennie », par exemple et outre les noms déjà cités : Armande Altaï, Louis Arti, Daniel Balavoine, Alain Bashung, Francis Cabrel, Louis Chedid, Julien Clerc, CharlÉlie Couture, Romain Didier, Yves Duteil, Brigitte Fontaine, Serge Gainsbourg, France Gall, Jean-Jacques Goldman, Henri Gougaud, Johnny Hallyday, Jacques Higelin, Michel Jonasz, Plume Latraverse, Bernard Lavilliers, Daniel Lavoie, Francis Lemarque, David McNeil, Eddy Mitchell, Michel Polnareff, Renaud, Catherine Ribeiro, Henri Salvador, Véronique Sanson, Sapho, Michel Sardou, William Sheller, Jean-Claude Vannier… ou encore Étienne Roda-Gil et Pierre Desproges. À noter enfin, à la coda de l’ouvrage, un cahier de témoignages exclusifs – et manuscrits – des artistes suivants : Graeme Allwright, Julos Beaucarne, Guy Béart, Jean-Jacques Goldman, Gilbert Laffaille, Gérard Manset, Claude Nougaro, Pierre Perret, Renaud, Catherine Ribeiro, Yves Simon, Alain Souchon et Jean Vasca.
Au final, écrit l’auteur dans un avant-propos intitulé « P… de toi », « l’ensemble – à travers la présentation (sans aucune hiérarchie autre qu’alphabétique) de tous ces artistes, célèbres ou méconnus, dont l’incontestable talent a fait bander mille et une fois l’arc de mes émotions – est constitué, tel un florilège, de façon à brosser un portrait en mouvement, le portrait le plus ressemblant possible, avec ses expressions infiniment diverses : drôle, secrète, rebelle, délicate, expansive, énergique, aimante… de cette amie éternelle qui sait jouer comme personne à saute-frontières. La chanson. Ma chanson. Et le dernier coup de plume tracé, putain, quelle formidable chanson que cette chanson-là ! »
(Éditions du Petit Véhicule, Nantes, 552 pages, 154 x 235 mm)